Entretiens avec Stéphane FORGERON sur les enjeux de la conception universelle pour les entreprises (26ème volet)
Stéphane Forgeron, continuons sur l’importance de la réactivité pour gérer au mieux une épidémie, et notamment au 25 février 2020 avec la déclaration d’état d’urgence local à San Francisco. Quelle est l’utilité opérationnelle d’une telle déclaration ?
La déclaration d’état d’urgence locale[1] du maire de San Francisco permet à la ville :
- D’augmenter ses ressources et les capacités de soins ;
- D’accélérer la planification des urgences ;
- De rationaliser le personnel ;
- De coordonner les agences locales du Comté ;
- De permettre un remboursement futur partiel par le Gouvernement fédéral (via la FEMA) des dépenses engagées par l’État de Californie ;
- De sensibiliser tous les résidents de San Francisco à la meilleure façon de se préparer et de réagir face à ce nouveau coronavirus ;
- De s’assurer que San Francisco est aussi prête que possible au cas où ce nouveau virus toucherait des quartiers de la ville.
Cette déclaration donne plus d’outils à la Ville pour se préparer à cette pandémie. Le responsable de la Santé à San Francisco déclarera le même jour : ” compte tenu du nombre élevé de voyageurs entre San Francisco et la Chine continentale, il est de plus en plus probable que nous verrons des cas de COVID-19 “.
La municipalité travaille en étroite collaboration avec la communauté chinoise, menacée de stigmatisation et de discrimination.
Enfin, la déclaration d’état d’urgence locale permet aux entreprises et aux salariés de se préparer aux éventuelles perturbations causées par l’épidémie : (a) travailler à domicile si cela est matériellement possible tant pour le salarié que pour l’employeur, le télétravail étant une pratique très développée à San Francisco ; (b) faire des stocks de tous les médicaments essentiels pour le foyer en cas de confinement ; (c) préparer un plan de garde d’enfants ; (d) prendre des dispositions sur la façon dont les parents géreront la fermeture des écoles ; (e) planifier de quelle manière les résidents peuvent prendre soin d’un membre de leur famille malade sans eux-mêmes tomber malades, etc.
Quelles autres décisions ont été prises avec réactivité à San Francisco pour répondre à ce défi sans précédent du Covid-19 ?
2 mars 2020
La Direction de la Santé Publique de San Francisco commence le dépistage à grande échelle de cas de Covid-19.
4 mars 2020
Déclaration de l’état d’urgence à l’échelle de la Californie par le Gouverneur Gavin NEWSOM, 8 jours après San Francisco.
5 mars 2020
Les deux premiers cas confirmés de Covid-19 sont découverts à San Francisco. Aucun des deux patients ne s’était rendu dans un endroit où une épidémie de coronavirus était connue, ni n’avait été en contact avec une personne dont le test de dépistage s’était révélé positif.
La ville commence à mettre en œuvre des mesures pour empêcher les rassemblements de masse suite à la nouvelle des deux premiers cas confirmés.
San Francisco se prépare à la propagation du Covid-19 au sein de la population depuis déjà six semaines.
6 mars 2020
Déclaration de l’état d’urgence sanitaire à San Francisco[2] par le directeur de la Santé Publique de la Ville.
7 mars 2020
Les élus de la ville interdisent les événements de groupe non essentiels organisés dans les installations appartenant à la municipalité pendant deux semaines. Un événement de groupe non essentiel a été défini comme un rassemblement de 50 personnes ou plus pour des événements sociaux, culturels ou de divertissement, où les participants ne sont pas séparés par une distance physique d’au moins un mètre.
9 mars 2020
La municipalité annonce le déblocage d’un budget de 5 millions de dollars pour : (a) embaucher quotidiennement des équipes de nettoyage afin de désinfecter régulièrement les refuges pour sans-abri, population considérée comme particulièrement vulnérable en cas de pandémie ; (b) soutenir 24h/24 les résidents de ces refuges pendant quelques mois.
D’après les autorités locales, ceux qui vivent dans la rue ont le plus de risques de contracter une maladie infectieuse. Un décompte de 2019 par les services de la Ville estime le nombre de sans-abri à 8.011 personnes à San Francisco.
Afin de promouvoir davantage les bonnes pratiques d’hygiène pour ces résidents, les dirigeants de la ville installent 20 stations de lavage des mains début mars.
11 mars 2020
San Francisco interdit tous les grands rassemblements privés et publics de plus de 100 personnes[3], ainsi que d’autres décisions plus contraignantes[4].
En préparation du passage aux cours en ligne à partir du 18 mars à l’Université de San Francisco, de vastes ressources sont mises à disposition en ligne pour les professeurs, le personnel de soutien universitaire et les étudiants[5]. Des informations personnalisées, régulièrement mises à jour, sont conçues pour assurer la continuité de l’enseignement et maintenir un haut degré d’apprentissage des étudiants. La continuité pédagogique est prise en compte depuis de nombreuses années pour les étudiants handicapés.
Les universités sont considérées des activités essentielles en cas d’état d’urgence. L’équipe de direction de l’Université définit le personnel essentiel et travaille pour garantir la continuité des services.
12 mars 2020
Une station de tests du Covid-19, sorte de drive-in sans sortir de son véhicule, est installée dans la ville pour tous les résidents qui souhaitent se faire dépister. Des sites de dépistage sur le même modèle sont conçus pour éloigner les patients présentant des symptômes respiratoires des installations médicales, où ils pourraient potentiellement transmettre le virus à d’autres personnes se présentant aux urgences.
L’enseignement à distance de l’Université de San Francisco est prolongé jusqu’à la fin du semestre. Depuis le début de cette crise, les priorités du conseil d’administration de l’Université sont claires : la santé et la sécurité de chaque membre de la communauté universitaire, ainsi que la continuité de l’enseignement et du soutien au développement des étudiants.
13 mars 2020
Le maire London BREED annonce un moratoire sur les expulsions de logements[6] relatives aux impacts financiers du Covid-19.
16 mars 2020
37 cas de Covid-19 sont confirmés à San Francisco, contre 2 seulement 11 jours auparavant. Aucun décès n’est enregistré.
C’est le jour où les responsables de la santé publique de la région de la Baie annoncent qu’une directive de confinement[7] ayant force de loi, appelée Shelter in Place (Rester à la Maison), entrera en vigueur le mardi 17 mars. La directive très pédagogique, souple, compréhensible par le plus grand nombre et laissant peu de place à diverses interprétations, n’est pas un confinement à la française : les résidents de San Francisco peuvent se déplacer sans attestation. Les autorités locales faisant confiance à leur population, les habitants sont invités à rester chez eux et à éviter autant que possible les contacts physiques rapprochés pendant trois semaines au moins. Les autorités locales comptent sur le civisme des résidents, sans chercher à créer un climat de peur ni à infantiliser les citadins.
Le 16 mars 2020 le maire de San Francisco fait une communication synthétique, rassurante et motivante à l’attention de l’ensemble des agents municipaux. London BREED les informe qu’à partir de cette date ils peuvent être mobilisés à tout moment sans pouvoir invoquer un quelconque droit de retrait, à l’exception des employés ayant des problèmes de santé.
17 mars 2020
Début du confinement dans la Baie de San Francisco, ce terme n’ayant jamais été utilisé par les autorités locales. Les déplacements non essentiels à pied, en scooter, à vélo, en voiture et en transports publics sont interdits, bien que les transports en commun restent ouverts à certaines heures pour les déplacements des travailleurs essentiels (ex. salariés de la Ville, personnel soignant). Marcher, courir, promener un animal de compagnie, faire une randonnée sont toujours autorisés, tant que les résidents gardent deux mètres de distanciation physique entre eux.
La région de la Baie est saluée à l’échelle nationale pour sa rapidité dans la mise en œuvre de la distanciation sociale dès le 17 mars. San Francisco a été surnommée ” la ville qui a aplati la courbe du coronavirus “.
Des mesures sont immédiatement prises – préparation en amont par les services de la Ville par l’Agence des Services aux Citoyens Vulnérables – pour garantir que les personnes vulnérables (ex. vivant avec un handicap, âgées) ne soient pas pénalisées par ces nouvelles règles, à travers la mise en place d’une multitude de prestations à domicile[8] pour leur faciliter la vie (ex. livraison de repas sans condition de revenus, de médicaments), y compris pour lutter contre l’isolement social. Par exemple, les seniors peuvent appeler la ligne de l’amitié pour recevoir une écoute amicale et obtenir une écoute chaleureuse à toute heure du jour ou de la nuit.
La mairie met en télétravail nombre de ses agents, disposition facile à mettre en œuvre car une formation en ligne en ergonomie pour travailler à la maison[9] étant même disponible pour tous les employés de la Ville.
19 mars 2020
Le Gouverneur de Californie, Gavin NEWSOM, ordonne le confinement de tout l’État de Californie. C’est l’action la plus radicale jamais prise pour stopper la propagation du coronavirus aux États-Unis à cette date. Cette directive reprend la directive Shelter in Place décidée deux jours plus tôt à San Francisco, et s’applique à la totalité des 40 millions de Californiens.
1er avril 2020
La directive de santé publique Shelter in Place de San Francisco et de la Baie est prolongée jusqu’à début mai, comprenant de nouvelles restrictions et des règles de distanciation physique plus strictes. Le non-respect de la directive est un délit passible d’une amende, d’une peine d’emprisonnement ou des deux.
2 avril 2020
Le premier cas positif dans un refuge pour sans-abri à San Francisco est détecté. Quatre jours plus tard, deux autres cas positifs sont confirmés dans le plus grand refuge pour sans-abri de la ville.
Dès lors, des mesures spécifiques sont prises en direction de cette population, afin de ne pas trop l’exposer au Covid-19 et de protéger la collectivité. La ville se concentre sur comment et où loger les sans-abri pendant la pandémie.
10 avril 2020
Les refuges pour sans-abri deviennent les principaux foyers de transmission de cette épidémie. 70 des 144 occupants d’un refuge pour sans-abri à San Francisco sont testés positifs au Covid-19.
Les autorités locales seront critiquées au début du confinement par la presse locale, les décisions ayant tardé à être prises. Les responsables de la municipalité adoptent le recours à l’utilisation de chambres d’hôtel inoccupées pour héberger la population à risque des sans-abri après que deux résidents du plus grand refuge (un établissement de 340 lits) ont été testés positifs au Covid-19. Cette décision est effective en quelques heures. Ces deux cas positifs sont déplacés, ainsi que 19 autres résidents qui avaient été exposés. De même, le refuge est désinfecté, puis rouvert avec de nouvelles règles : distanciation physique, port du masque pour les résidents et le personnel, contrôles de température plus rigoureux dans les refuges.
En plein confinement il est décidé que le taux d’occupation de ces refuges sera au maximum de 50% pour les sans-abri, avec une nouvelle configuration des installations. Ces refuges sont limités aux personnes à faible risque : soit elles ont déjà été infectées par le virus, soit elles ne sont pas dans des catégories à haut risque en cas d’infection et dont le test est négatif. La ville envisage même de louer 7.000 chambres d’hôtel pour loger toute sa population de sans-abri, mais également d’utiliser des écoles fermées, des églises, le centre des congrès, des propriétés privées à des fins de logement d’urgence. Le but de l’utilisation de certaines de ces installations est d’aider à espacer les lits dans les refuges existants afin que les sans-abri puissent bénéficier de plus de place pour la distanciation sociale.
La Ville recommande le port du masque dans tous les espaces publics.
17 avril 2020
San Francisco publie une nouvelle politique sur le port du masque[10]. La nouvelle directive sanitaire exige que les résidents et les travailleurs portent le masque dans les espaces publics, les entreprises essentielles, les transports en commun, etc. Cette exigence est expliquée aux habitants : il s’agit d’aider la Ville à se préparer à la phase du déconfinement en faisant baisser drastiquement le nombre de cas positifs.
27 avril 2020
Prolongement de la directive Stay Home (Rester à la Maison) dans tout l’État de Californie à compter du 4 mai 2020 pour renforcer les progrès accomplis sur le ralentissement de la propagation du coronavirus.
À San Francisco, les hospitalisations de patients infectés par le Covid-19 sont stables depuis plusieurs semaines, et les hôpitaux n’ont jamais été saturés. La décision du Gouverneur de Californie, laquelle est appliquée dans toute la Baie, est justifiée par le fait que San Francisco travaille à renforcer ses capacités de tests, de recherche de nouveaux cas, d’enquêtes épidémiologiques et de recherche des contacts, ainsi qu’à prendre d’autres mesures pour contenir le virus.
Dans le même temps, les restrictions sur certaines activités de plein air avec un risque modéré de propagation du virus – à condition de maintenir au moins deux mètres de distanciation physique – sont assouplies. Pour la Ville et le Comté il s’agit de préparer au mieux le déconfinement.
3 mai 2020
San Francisco loue 2.700 chambres d’hôtel en tant que logements d’urgence pour les sans-abri à risque.
Pendant cette pandémie, de nombreux enseignements ont déjà pu être tirés, lesquels seront peut-être intégrés à l’avenir pour une mise à jour du plan de résilience spécifique à un tel risque : des refuges à grande échelle (avec une forte concentration de population) présentent des risques non négligeables en matière de transmission et de propagation d’un virus. Les sans-abri à risque devraient être logés dans des chambres d’hôtel. Pour autant, différents paramètres doivent être pris en compte pour garantir une quarantaine efficace : personnel de l’hôtel préparé, repas, transport, sécurité, nettoyage.
Face à cette pandémie, San Francisco a fait preuve d’une grande réactivité, car les mesures prises sont simples, comprises par l’ensemble de la population, ne prêtant pas à des interprétations ni à des débats stériles. Ces mesures sont très éloignées des déclarations fracassantes du président des États-Unis passant en boucle sur les chaînes d’information en continu. Grâce à une vraie décentralisation, avec des élus locaux disposant de vrais pouvoirs sur leur territoire, les autorités de San Francisco, de l’État de Californie et d’autres États de la Fédération (ex. État de New York) ont fait le contraire des prises de positions de Donald TRUMP. En effet, pour ce type de risque, l’échelon local s’est avéré le niveau de prise de décisions de loin le plus pertinent.
San Francisco a développé une culture de la réactivité et des risques par des réponses pragmatiques au plus près du terrain.
[1] https://sfmayor.org/sites/default/files/Proclamation%20of%20Local%20Emergency%20re.%20COVID-19%202.25.2020.pdf (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[2] https://www.sfdph.org/dph/alerts/files/HealthOfficerLocalEmergencyDeclaration-03062020.pdf (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[3] https://www.sfdph.org/dph/alerts/files/Order-Prohibiting-Large-Gatherings(Order%20C19-05b)-031320.pdf (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[4] https://sfmayor.org/sites/default/files/SupplementalDeclaration_03112020.pdf (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[5] Consulter https://myusf.usfca.edu/keep-teaching et https://myusf.usfca.edu/keep-teaching/additional-resources (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[6] https://sfmayor.org/sites/default/files/SupplementalDeclaration2_03132020_stamped.pdf (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[7] https://sfdhr.org/sites/default/files/documents/COVID-19/Message-From-Mayor-Breed-on-New-Public-Health-Order-16mar20.pdf (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[8] https://sf.gov/topics/coronavirus-covid-19 (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[9] https://sfhss.org/resource/online_ergo_training_ee (dernière consultation le 24 juillet 2020)
[10] https://sfmayor.org/article/san-francisco-issues-new-policy-face-coverings (dernière consultation le 24 juillet 2020)