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La vie autonome par rapport à la vie en institution pour les personnes handicapées ?

Stéphane Forgeron, au regard de l’évolution opérée au Royaume-Uni, le coût du dispositif de la vie autonome est-il moins cher qu’une vie en institution pour les personnes handicapées ?

Pour ce qui est du coût de ces deux dispositifs, à savoir soit une vie en institution entre quatre murs soit une vie au cœur de la cité, le soutien à la personne financé par le paiement direct est en moyenne 30-40% moins élevé qu’un financement équivalent pour des prestations facturées dans des établissements protégés gérés par des associations. La différence la plus significative réside dans les frais de fonctionnement très onéreux de ces structures médicosociales. D’autres études[1] seront publiées par la suite sur cette thématique importante des coûts dans différents pays[2], laquelle reste un tabou en France.

À la suite du rapport Zarb[3] remettant en cause le modèle médical du handicap au Royaume-Uni symbolisé par ces établissements qui peuvent être assimilés par certains égards au milieu carcéral, les Britanniques, à commencer par les élus nationaux et de hauts fonctionnaires, ne vont pas se contenter de ce constat. Cette étude de recherche a pris fin en 1994. Ladite étude démontrera également que les personnes bénéficiaires du paiement direct ont des niveaux de satisfaction générale bien plus élevés sur la manière dont ils peuvent organiser leur vie que les usagers de services placés en institutions. Raisons principales invoquées : une plus grande possibilité de choix, de contrôle et de fiabilité pour les personnes handicapées bénéficiaires du paiement direct. La satisfaction client est d’autant plus grande lorsqu’une évaluation préalable des besoins est réalisée par des associations de personnes handicapées (et non pour personnes handicapées), à savoir non gestionnaires d’établissements. Dans la plupart des cas, ces associations étaient des centres pour la vie autonome créés quelques années auparavant dans ce pays.

Aussi bien pour ce qui est du coût[4] que de la qualité des prestations, le dispositif du paiement direct à la personne est préférable, moins onéreux pour les finances publiques et bien meilleur d’un point de vue qualitatif. Avec ce constat objectivé des contacts importants seront renouvelés avec le Parlement britannique et avec les directeurs des services sociaux, lesquels soutenaient cette démarche depuis plusieurs années.

De façon inattendue, une semaine avant la publication des résultats du rapport intitulé Cashing in on Independence (Argent en espèces pour l’autonomie), le Ministre de la Santé annoncera que l’intention du Gouvernement était de faire évoluer la législation sur le paiement direct lors de la prochaine rentrée parlementaire. Après cinq années de lutte acharnée, les membres du Conseil Britannique d’Associations de Personnes Handicapées ne s’attendaient pas à une telle annonce. La recherche et la militance avaient eu un impact considérable sur une telle décision.

Par la suite, un grand nombre de séminaires et de conférences seront organisés par l’État et le Mouvement pour la Vie Autonome. Des projets de recherche seront lancés sur des thématiques liées à la vie autonome. Au cours d’une de ces conférences, organisée par la Direction des Services Sociaux, des défenseurs du Mouvement rencontreront de hauts fonctionnaires Britanniques, mandatés par le ministère de la Santé, pour préparer un plan d’actions en vue de la transition vers le système du paiement direct à la personne. Le Gouvernement nommera un groupe de travail appelé Technical Advisory Group (ou Groupe Consultatif Technique) pour mettre en place le cadre réglementaire sur le paiement direct. Ledit Groupe invitera des participants de diverses associations professionnelles, de bénévoles et de personnes handicapées : le BCODP sera convié en tant qu’expert dans ce domaine parmi les trois organisations de personnes handicapées représentées.

Ce Groupe commencera à fonctionner en juin 1995, passant en revue tous les aspects-clés de la vie autonome et préparera des notes d’orientation à l’attention des hauts fonctionnaires et des ministres impliqués dans ce dossier. Une loi sur le paiement direct sera adoptée en 1996, et son application deviendra effective le 1er avril 1997.

Initialement, cette loi ne s’appliquait pas aux personnes âgées dépendantes ni à certains handicaps. Par la suite, l’extension de l’utilisation de ce droit sera adoptée pour les personnes[5] :

  1. Avec des troubles de l’apprentissage,
  2. Avec un handicap intellectuel[6],
  3. Atteintes du SIDA,
  4. Vieillissantes en perte d’autonomie[7].

Contrairement à d’autres pays, l’aidant personnel ne pouvait pas être assumé par un proche de la personne handicapée, afin d’éviter qu’il l’emploie.

Le BCODP a été créé en 1981 et sera très actif dans les années 1980 et 1990[8] : il représentera au sein de la communauté handicapée britannique un mouvement anti-institutions du handicap – à savoir des associations parlant et décidant à la place et au nom des personnes handicapées – ainsi qu’une voix nationale radicale (au sens de traiter un problème à sa racine) pour demander un changement législatif, social et culturel de la perception des personnes handicapées dans ce pays. Cette organisation travaillera avec des consultants dans tout le pays ; les consultants étaient tous des personnes vivant avec un handicap et pour la plupart avec une grande expérience dans le paiement direct à la personne.

Refuser d’évoquer le financement des aides techniques et des aidants personnels[9] empêche de développer ce modèle de la vie autonome. Les pouvoirs publics en France ne valorisent pas ces approches très répandues dans d’autres pays développés, les personnes vivant avec un handicap sévère devant passer leur temps à se justifier en remplissant des dossiers pour trouver des financements. L’État français considère que de tels besoins ne constituent pas des prestations essentielles pour garantir l’égalité des droits et des chances, la non-discrimination[10], la vie autonome au cœur de la cité et la cohésion sociale. Si les conditions minimales sont réunies, à savoir accessibilité pour Tous au sens large, aides techniques et autonomie fournie par un service d’aidants personnels, de l’enfance à la vieillesse, les personnes handicapées peuvent alors :

  1. Décider sur un pied d’égalité de leur vie ;
  2. Démontrer leurs capacités ;
  3. S’organiser individuellement et collectivement, devenant des acteurs de leur vie.

Que retenez-vous de cette transformation au Royaume-Uni pour un pays tel la France ?

Il est indispensable de faire avec les personnes handicapées de leurs choix de vie et non décider à leur place de ce qui serait bien pour elles. Une vie autonome améliore de manière substantielle la vision sociale de la dépendance. Les personnes qui vivent de façon autonome brisent bien des barrières psychologiques, contribuant grandement à faciliter l’inclusion sociale de personnes handicapées pour les générations à venir.

Toutefois, pour soutenir le caractère essentiel des services d’accessibilité, des aides techniques et d’aidant personnel, leur mise en œuvre doit être conçue comme des instruments de la politique sociale d’un pays, dans un cadre réglementaire prévoyant les sanctions adéquates en cas de discrimination liée au handicap. D’un point de vue sociopolitique, des chercheurs anglo-saxons affirment qu’il est nécessaire d’être une démocratie inclusive[11] pour que le modèle de la vie autonome puisse fonctionner.

En résumé, les gouvernements successifs tout au long de la Vème République en France ont décidé de ne pas décider, de reculer pour mieux stagner et prôner le statu quo[12]. C’est comme si ce mouvement et cette philosophie[13] reconnus et pratiqués à l’échelle internationale n’intéressaient pas la France, alors que les bénéfices tant économiques, sociaux (participation à la vie en société[14]), que de respect des droits de personnes particulièrement vulnérables ont été démontrés par le champ de la recherche. Comme le dit le proverbe gouvernemental inventé par l’humoriste française Anne Roumanoff : “Remets toujours au surlendemain ce que tu ne peux pas faire la veille“. À méditer sur la situation de millions de Français dits en situation d’handicap !

  1. 1. MANSELL, J., KNAPP, M., BEADLE-BROWN, J. et BEECHAM, J. (2007). Deinstitutionalisation and community living – outcomes and costs: report of a European Study. Volume 2: Main Report. Canterbury: Tizard Centre, University of Kent.

http://eprints.lse.ac.uk/3460/1/Deinstitutionalisation_and_community_living_%E2%80%93_outcomes_and_costs_vol_2(lsero).pdf  (dernière consultation le 14 juillet 2023)

  1. 2. BEADLE-BROWN, J. et KOZMA, A. (2007). Deinstitutionalisation and community living – outcomes and costs: report of a European Study. Volume 3: Country Reports. Canterbury: Tizard Centre, University of Kent.

https://individualisedliving.com.au/wp-content/uploads/sites/3/2021/07/DECLOC_Volume_3_Country_Reports.pdf  (dernière consultation le 14 juillet 2023)

  1. 3. Voir https://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/Zarb-cashing-in-on-indep.pdf (dernière consultation le 14 juillet 2023)
  2. 4. Lire l’article The Economics of Independent Living (2003):

https://www.independentliving.org/docs6/zarb2003.html  (dernière consultation le 27 juillet 2023)

  1. 5. A ce sujet, voir les initiatives à l’échelle européenne avec le EU funds Checklist to promote independent living and deinstitutionalisation (2021):

https://deinstitutionalisationdotcom.files.wordpress.com/2021/07/updated-checklist-new-eeg-logo.pdf  (dernière consultation le 25 juillet 2023)

  1. 6. Consulter également différents rapports sur la désinstitutionalisation :

https://deinstitutionalisation.com/eeg-publications/  (dernière consultation le 26 juillet 2023)

  1. 7. Mansell, J. et Ericsson, K. (1996). Deinstitutionalization and Community Living. Intellectual disability services in Britain, Scandinavia and the USA, Springer-Science+Business Media, B.V.
  2. 8. ZARB, G. et OLIVER, M. (1993). Ageing with a Disability: What do they expect after all these years? London: University of Greenwich, 1993.

https://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/Oliver-ageing-with-disability.pdf  (dernière consultation le 29 juin 2023)

https://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/BCODP-British-Council-of-Organisations.pdf  (dernière consultation le 29 juin 2023)

  1. 9. Interviews with Personal Assistance Users in Germany and Sweden (2018) :

https://www.independentliving.org/files/MasterThesis_SelinaGriesser.pdf  (dernière consultation le 27 juillet 2023)

  1. 10. BARNES, C. (1991). Disabled people in Britain and discrimination: a case for anti-discrimination legislation. London: Hurst & Co. Cf. lien vers le chapitre 2 A brief history of discrimination and disabled people (une histoire brève de la discrimination et des personnes handicapées) :

https://disability-studies.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/40/library/Barnes-disabled-people-and-discrim-ch2.pdf  (dernière consultation le 13 juillet 2023)

  1. 11. Promoting Inclusion. A British Council guide to disability equality:

https://www.britishcouncil.org/sites/default/files/guide-disability-equality.pdf  (dernière consultation le 27 juillet 2023)

  1. 12. les nombreuses actions concrètes aux USA depuis 50 ans soutenues par les gouvernements successifs, et notamment le ministère de l’Education, pour faciliter la vie autonome de millions de personnes handicapées :

https://www.ilru.org/  (dernière consultation le 25 juillet 2023)

  1. 13. Voir La Filosofía de Vida independiente (2012) :

http://www.rinace.net/rlei/numeros/vol7-num1/art5.pdf  (dernière consultation le 27 juillet 2023)

  1. 14. Consulter From Institutional Life to Community Participation (2002):

http://www.skinfaxe.se/ebok/ilcp.pdf  (dernière consultation le 27 juillet 2023)

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