Une version de cet article est disponible sur mon blog personnel : https://hautpotentieldaventure.com/2023/06/22/la-notion-de-potentiel/
Parce que la notion de potentiel, encore plus de “haut potentiel”, c’est un peu écrasant pour moi. Petite réflexion personnelle.
On lit beaucoup qu’il n’y a pas de bon terme pour décrire le haut potentiel. Que surdoué est problématique, car il implique à la fois une supériorité, et un don accordé à la personne (par qui, ne me demandez pas). Que zèbre est très connoté Jeanne Siaud-Facchin, hypersensibilité et caractéristiques de la personnalité (personnellement je le trouve un peu bizarre, voire infantilisant, mais bon). Mais haut potentiel, je crois, est un peu plus nuancé, car la notion de potentiel est nuancée. Ce qui est problématique, c’est qu’il me culpabilise
C’est quoi le potentiel ?
Le potentiel est un mot générique, avec plein d’applications scientifiques. Potentiel d’action pour les neurones, potentiel électrique en sciences physiques, théorie du potentiel en mathématiques… Le potentiel, c’est ce qui pourrait arriver, ce qu’une situation donnée porte en germe. Un potentiel électrique, c’est l’énergie qu’aurait une charge électrique unique en un point.
Un potentiel est théorique. On en parle souvent en positif, mais il peut être à connotation négative : Avec toute cette violence internalisée, il a le potentiel pour devenir un monstre Cette situation a un fort potentiel de partir en cacahuète, grave. (TMTC).
Et quand on parle de haut potentiel, on entend que, à son maximum, en réalisant toutes ses possibilités, le surdoué pourrait atteindre des sommets. Pourquoi j’ai un problème avec ça ?
Une injonction qui écrase
A-outch ! N’en jetez plus, je sais déjà que je suis un échec, un mauvais spécimen, que malgré toutes les qualités qu’on m’a données (notez que c’est un « don », je n’ai rien fait pour, je suis une privilégiée), je ne suis pas géniale, supérieure, au top. Et ce, quelles que soient mes réussites effectives.
Si je fais la liste, sans me jeter de fleurs (il faut bien le faire de temps en temps, ça me réconforte un peu), je ne peux pas vraiment dire que j’ai raté ma vie. J’ai des réussites scolaires et des diplômes reconnus à mon actif, je m’en sors bien professionnellement et financièrement (enfin, c’est l’impression que donne mon CV et mon compte en banque, mes pensées en disent autre chose…), j’ai même une famille, des proches, un conjoint avec qui les choses se passent bien. Mais ça, c’est « haut », « supérieur », c’est la vie de quelqu’un qui avait plus de potentiel que les autres ?
Objectivement, peut-être, peut-être que j’ai atteint certains jalons de la vie plus tôt ou « mieux » que d’autres. Mais le fait de parler de potentiel, même avant d’être testée effectivement, même auprès des personnes qui ignorent que j’ai fait le test, c’est déjà une pression permanente pour être à la hauteur, et être à la hauteur de rêves qui, souvent, ne suffisent pas à me rendre heureuse.
Parler de haut potentiel, en plus de don, c’est dire « vous êtes nés avec un cerveau en argent dans la tête, et vous êtes devenus quoi ? Normaux ? Bouuuuuuh ! ». Ok, c’est peut-être seulement moi et mon crétin d’idéalisme, voire de narcissisme tyrannique qui se disent ça.
Parce que soyons honnête, la notion de « potentiel » est tellement vaste, tellement idéaliste (potentiellement, on peut tout faire, tout devenir, comment, vous n’avez pas trois prix Nobel et une navette fabriquée dans votre jardin qui va sur Mars ? Avec tout ce potentiel ??).
Le surdoué, pas assez volontaire ?
La notion de potentiel, du coup, c’est la porte ouverte au syndrome de l’imposteur. C’est prétendre qu’on peut tout faire, en oubliant la partie extrêmement importante qui devrait suivre :
On peut tout faire (et encore), si on en a envie, si on y consacre du temps et des efforts, si notre corps et état d’esprit est ok. Et surtout, on ne peut pas tout faire EN MÊME TEMPS. On ne peut pas réaliser toutes les potentialités EN MÊME TEMPS.
Un détail, n’est-il pas ?
Ça ne sert à rien de se maltraiter parce qu’on ne se trouve pas assez volontaire, qu’on aime se reposer dans le canapé ou se distraire, et qu’à notre âge Bill Gates avait déjà fondé Microsoft et un gamin asiatique sur Youtube fait mieux que nous dans n’importe quel domaine.
D’abord parce qu’il y aura toujours des gens plus doués, et que leur potentiel, justement, c’est le leur. Ensuite parce qu’ils ne font peut-être que ça de leur vie, ils ont peut-être eu de la chance, cela avait peut-être plus de sens pour eux que pour nous (même si ce sens c’est d’obéir aux parents, ou quelque chose qui pour nous ne fait pas sens).
(Ceci est mon petit coup de gueule personnel adressé à moi-même : arrête de te juger à l’aune des autres et de minimiser tes réussites en fonction de l’idéal d’une discipline, plutôt qu’en fonction de la moyenne, voire, pas du tout, et de juger seulement le bonheur que ça t’apporte. Parce qu’on aime nos conditionnements et nos anciennes stratégies de survie qui nous rendent la vie impossible ).
Surdoué spécifique, surdoué généraliste
Quand on se consacre à fond à quelque chose, on peut atteindre un potentiel assez élevé, dans cette chose particulière. On ne sait jamais, d’ailleurs, où est le potentiel global. Bien sûr, les petits surdoués généralistes, les touche-à-tout, les bons-partout-excellents-nulle-part sentent bien qu’ils pourraient aller assez loin, plus loin, sur tous les sujets. Mais ils sont bloqués, par leur fonctionnement : ils se désintéressent quand ils ont compris le truc, ou quand ça devient difficile.
Mais pourquoi leur fonctionnement de vite-apprenants est leur potentiel, et leur fonctionnement de vite-lassés, un défaut ontologique qui les rend nuls ? Je vous pose la question. C’est le point central de mon problème avec la notion de potentiel : pour une raison quelconque, les petits surdoués (et les autres, j’imagine) pensent pouvoir l’atteindre.
Sauf que le potentiel, c’est la limite d’une fonction : on peut vouloir tendre vers cet idéal, mais on ne l’atteint pas, et plus on s’approche, plus on voit les lacunes qui nous en sépare.
Conclusion
J’aimerais bien me foutre de mon potentiel, ne pas croire que je lui dois quelque chose, à ce « don » que je n’ai pas demandé. Le plus souvent, j’en suis quand même contente, parce que les grands moments de pensée, l’exaltation parfois est suffisante pour justifier le reste. La profondeur même des souffrances que j’ai pu ressentir dans ma vie ne manque pas de beauté et d’intérêt. Mais la notion de potentiel implique la notion qu’on devrait chercher à l’atteindre, qui implique insatisfaction, déception, malaise.
Même en raisonnant sur la question, je n’arrive pas encore à jeter par la fenêtre toutes les attentes envers moi-même. Toutes les vies où j’aurais « potentiellement » pu trouver un remède au SIDA ou au cancer, résoudre de grands problèmes, et dont seule ma flemme m’éloigne (mais bien sûr…). Toutes les vies qui seraient plus belles à raconter, car je suis une conteuse d’histoire, j’aimerais l’être du moins. Condamnée à imaginer des sentiments les plus grands, les plus beaux, et à vivre une vie, un peu plus médiocre, mais réelle.
De toute façon, le bonheur se raconte mal. Il se vit.
Y a plus qu’à…