Un sujet qui a fait débat lors de son premier passage sur les groupes Facebook, parce qu’il est clair que le monde professionnel pose problème pour beaucoup de surdoués. Inadaptés, ennuyés, en burn-out, rejetés par leurs collègues… Et donc, potentiellement, en grande souffrance et voyant le monde du travail comme dénué de sens et d’enthousiasme.
Bien sûr, on nous dira que personne n’est ravi de travailler et que ce n’est pas pour cela qu’on le fait. Que toute une génération se pose désormais la question du travail. Mais quand on a passé sa vie à se sentir un peu différent, un peu à côté de la plaque, quand peut-être on nous a dit toute notre vie qu’on était différent, voire un peu extraordinaire, comment accepter une vie professionnelle ordinaire ?
L’article original se trouve là : L’enfer de la « vie professionnelle normale » pour les surdoués – Haut Potentiel d’Aventure (hautpotentieldaventure.com)
Ce dont j’avais rêvé
Honnêtement, pas grand chose. Je ne rêvais pas de ma vie d’adulte. Adolescente, je voulais seulement « m’en sortir un jour » ! Je n’étais pas très heureuse, et pour moi réussir sa vie c’était juste arriver à l’être, mais comment ?
Je rêvais de sortir de la contrainte permanente du monde, de l’adaptation inadaptée, des horaires imposés, des dissertations en trois parties. À dix-sept ans, ma prof de latin, en khôlle, m’a demandé ce que je voulais faire de ma vie, et pour la première fois, j’ai osé dire que j’aurais aimé être écrivaine.
Ah ! Avoir cette vie des écrivains, Amélie Nothomb, Olivier Adam, Emmanuel Carrère… Pas d’horaires imposés, de huit-à-six présentéistes, de réunions indésirées. Suivre son idée, son génie peut-être, soyons fous, chaque jour une nouvelle chose, les seules difficultés sont en rapport avec soi-même, avec son rapport à soi. J’aimerais croire qu’on puisse écrire sans, pour une fois, faire ce qu’on attend de nous. Pour une fois, se révéler soi, et ne pas être un fantôme au bénéfice des autres.
Sauf que devenir écrivain, c’est difficile. Écrire un livre, c’est difficile, c’est ingrat, cela demande une motivation sur la durée, une idée en laquelle on peut croire sur la durée. Et dépasser son sentiment d’imposture à prendre la plume, c’est difficile. Assumer ses pensées, assumer de les dévoiler, de les coucher sur le papier, de cristalliser une seule version de soi, qui pourra être déformée, mal-interprétée, qu’on pourra bien vite rejeter.
Et, une fois le bouquin écrit, être publié, c’est difficile. Vraiment. J’ai essayé, avec deux livres, et c’est un cri dans le vide. On porte tous ses espoirs à la Poste, lâchant une somme conséquente, et on n’en entend plus parler pendant des mois. Parfois, on n’a jamais de réponse, souvent, c’est une réponse laminaire, ce que vous avez écrit, qui a pris des mois, « ne correspond pas à leur ligne éditoriale ».
Bref, moi j’ai un rêve.
Les joies de la réalité
J’ai longtemps cru qu’être adulte c’était accepter que la réalité, c’est gris et moche, qu’on ne fait pas ce qu’on veut (et qu’à la fin, on meurt). Et c’est un peu ça, sauf que quand on est adulte, on a le droit de faire ce qu’on veut. Se soumettre, c’est une contraintre, accepter, c’est un choix.
Bien sûr, certains ont plus le choix que d’autres. Le jeu n’est pas égal. On peut avoir l’argent, les contacts, la beauté, toutes les qualités.
Mais, pour la plupart des gens, la vie, c’est une routine, un équilibre entre accepter, tenter de se contenter, apprécier, changer. Je ne sais pas si certains sont absolument heureux, sans avoir à se forcer, à chercher, s’ils arrivent directement dans une position confortable. Si certains cadres supérieurs s’y trouvent comme des poissons dans l’eau, dans leur supériorité confortable, reconnue et bien payée.
Moi, ça ne me convient pas trop. L’école, ça ne me convenait pas trop. Tout le monde s’ennuie à l’école, une bonne partie du temps, paraît-il, alors pourquoi les autres ne pleuraient pas sur le chemin ? Pourquoi n’étaient-ils pas tristes, renfermés, pourquoi ne pensaient-ils pas être des coquilles vides, des spectres errant dans le système scolaire, sans plus d’émotions ni d’envies ? Et le travail, la routine, le 8h-18h, la télé le soir, une soirée de temps en temps, allez c’est bientôt le week-end, comment-ça-va-comme-un-lundi, ça ne me convient pas trop non plus. Oh, rien contre la télé, je la regarde quand j’ai la flemme de faire autre chose, j’aime bien ça, je ne pense pas que c’est débile. Mais à la fin de la soirée, après des années, je me demande ce que je fais de mon temps et de ma vie.
C’est quoi la vie normale ?
Aller à l’école, travailler dur, faire quelques bêtises à l’adolescence, des études, rencontrer quelqu’un. Faire carrière, des enfants, acheter une maison. Vivre vieux, un peu heureux. Partir à la retraite, profiter, un bon vin de temps en temps, le bingo du village, Questions pour un champion en fin de journée.
C’est ça la vie normale ? La vie qu’on devait vouloir ?
Je ne dis pas que ça ne fait pas du tout envie (quoique, gamine, j’avais du mal avec Questions pour un champion). Avant de rencontrer mon compagnon, je pensais esquiver les enfants, le mariage, la maison. Aujourd’hui, même si je me pose des questions, je me demande encore où est la vraie vie.
Je n’avais jamais imaginée être en couple, acheter une maison (dans un lotissement de banlieue, encore moins), avoir un chat. Ça me plaît plutôt.
Je pensais passer ma vie dans un boulot peu satisfaisant, comme l’école, et m’en contenter. Après moins de cinq ans, je me demande vraiment comment je suis censée tenir jusqu’en 2061. Je réalise que j’ai mélangé tous les concepts de vie normale, rejetant la partie sociale, en me disant que le système professionnel, l’emploi de bureau, le capitalisme, c’était inévitable.
Je vais paraphraser (encore) Tinoco, Gianola et Blasco : la vie normale est acceptable si elle fait sens pour nous. Pas parce qu’elle est normale, mais parce que c’est la nôtre, et qu’on lui trouve du sens. La vie normale, ce n’est rien, ça n’existe pas. Le boulot normal a une infinité d’alternatives, que je m’en vais aller explorer, parce qu’être ingénieure, bosser derrière un bureau, avoir des horaires, louer mon cerveau et lui demander de partir en vacances (et vlà les vacances) huit heures par jour, m’est difficile. Et que ça risque de vite devenir insoutenable.
C’est quoi le risque ?
Souffrir. Du dos, de la tête, des articulations, de la digestion. Une palette de symptômes psychosomatiques, quand le corps dit non alors qu’on essaie de se convaincre que tout va bien. Des maladies auto-immunes, peut-être. Les douleurs sont apparemment plus fréquentes chez les surdoués, cf Lancon et al., 2015).
Disparaître. Derrière une personnalité Comme Si (voir l’article sur le Faux-self). Derrière une dépression.
Souffrir. Dans sa tête. Être déprimé, se sentir en décalage, inadapté.
Si on y est sujet. Ça ne sert à rien de faire de ce sujet le problème de tous les surdoués, ou seulement des surdoués, d’ailleurs. Il n’empêche que c’est un vrai sujet, qui peut être extrêmement douloureux à vivre. Les HPI se posent a priori plus la question du sens de la vie, profondément, au-delà des récits collectifs, que les autres, mais tout le monde peut se la poser. Et le système de professions intellectuelles supérieures portées par le capitalisme semble souvent poser un problème, notamment, d’après de nombreux témoignages, aux surdoués, qui ont besoin de sens, de stimulation, de challenge. La plupart de ceux qui sont « adaptés au système » parviendront à trouver cette stimulation, ce challenge, dans leur travail.
Les autres risqueront de rejeter le fonctionnement « normal » du système, que ce soit très tôt, avec une phobie scolaire, ou plus tard, avec arrêts de travail, temps partiels, réorientations…
Et vous, vous en êtes-où ? Vous aimez, vous vous accomodez, vous détestez ? Vous avez fui le système ?