Entretiens avec Stéphane FORGERON sur les enjeux de la conception universelle pour les entreprises (10ème volet)
Stéphane, revenons sur ce concept d’inclusion et son lien direct avec la conception universelle. Pouvez-vous préciser son importance à l’échelle internationale ?
La conception universelle est en fait l’outil méthodologique permettant de s’inscrire réellement dans des démarches inclusives. Le recours à la conception universelle devient progressivement un standard à l’échelle internationale en matière de déploiement de politiques publiques (ex. transformation du système scolaire).
Dans nombre de pays développés (ex. Australie, Nouvelle-Zélande, Espagne, Portugal, Danemark, Norvège, Japon, Allemagne, Autriche) et en développement (ex. Afrique du Sud, Inde, Kenya, Mongolie, Mozambique), cette notion est essentielle pour transformer la société dans la perspective d’améliorer les conditions de vie des personnes handicapées, lesquelles bénéficient à tous les habitants. Ainsi, les pratiques inclusives se développent sur les cinq continents à travers des projets sur l’éducation inclusive financés en partie par des ONG (ex. Bangladesh, Pakistan, Botswana, Zimbabwe, Sierra Leone, Liberia, Ouganda, Philippines).
Des ONG (ex. Save the Children UK, International Development Partners) interviennent sous forme de coopérations avec des États pour développer l’école inclusive. Save the Children Norvège a travaillé de 1993 à 2009 au Laos pour développer l’école inclusive. Idem avec NFU (Norwegian Association for Development Research) accompagnant le ministère de l’Éducation en Tanzanie et à Zanzibar.
L’inclusion démontre de plus en plus un intérêt tant social qu’économique (ex. Brésil). À la suite de la Déclaration de Salamanque (UNESCO, 1994), des pays se sont engagés dans la voie d’un système éducatif reposant sur l’éducation inclusive[1] : Inde, Lesotho, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Sri Lanka, Chypre, Jamaïque[2].
En matière d’inclusion, quelle est la situation en France ?
En France, il n’existe pas de politiques clairement affichées qui soient inclusives, bien que des ministères (ex. des Transports, de la Ville, de la Culture, des Sports, du Numérique, du Logement, du Tourisme) pourraient être directement concernés. Les ministères en charge, par exemple, de la scolarité ou de l’emploi, n’ont pas repris directement et explicitement à leur compte cette démarche d’inclusion. Ce mot est utilisé timidement, sans que les personnes qui emploient ce concept en connaissent le sens et aient conscience des efforts importants pour tendre vers cet objectif d’inclusion.
Dans le domaine scolaire notamment, la redéfinition de ” classes ” interpelle : elles étaient autrefois des classes spéciales ; elles se sont appelées classes d’intégration scolaire (CLIS), et elles s’appellent désormais classes pour l’inclusion scolaire (CLIS). Le ” pour ” est l’expression d’une nuance importante. Cela ne signifie pas que ce sont des classes s’inscrivant totalement dans une politique inclusive radicale, mais elles peuvent peut-être contribuer à des démarches inclusives à terme.
Pouvez-vous citer un exemple de système éducatif vraiment inclusif, et quelles en sont les conséquences concrètes sur une société ?
La mise en place de systèmes éducatifs inclusifs ne peut se faire sans tenir compte des facteurs économiques, politiques, sociaux et culturels qui génèrent l’exclusion. Pour ce faire, il est nécessaire d’appliquer des politiques en mesure d’agir sur les causes de l’exclusion, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du système éducatif. Idem pour le milieu professionnel.
À l’instar d’autres pays nordiques, l’école inclusive en Finlande est considérée comme une politique publique globale intégrant toutes les dimensions du système éducatif : vision, stratégie, planification, programmes scolaires, organisation scolaire, leadership, structures, formation des enseignants, processus et évaluation de l’apprentissage. Le succès du système scolaire finlandais (classements PISA) montre qu’il est possible de construire une école de haute qualité pour tous les élèves.
La Finlande a mis en place dans les années 1980 un système permettant à tous les apprenants de réussir pour trois raisons essentielles : (1) les élus sont persuadés des vertus d’une éducation de qualité sans mise à l’écart de populations au regard d’une caractéristique physique ou intellectuelle ; (2) la création de structures éducatives pour Tous empêche l’exclusion, en élaborant parallèlement des activités et des pédagogies pour faciliter l’inclusion ; (3) une réponse adéquate a été conçue à la diversité des publics accueillis, par : un changement de conception des politiques éducatives, une nouvelle pédagogie, des programmes plus souples, une organisation scolaire fournissant des méthodes didactiques mieux adaptées à la diversité des élèves.
Dans ces conditions, les principales difficultés rencontrées pour apprendre ne sont pas liées aux capacités limitées d’un élève. Pour les défenseurs de l’inclusion[3], la principale difficulté est créée par les réponses insuffisantes apportées par le système scolaire (ex. enfants avec des troubles Dys). Cette approche part du principe que l’éducation est un droit humain, pilier d’une société plus équitable[4].
Selon vous, y a-t-il un lien entre inclusion et exclusion ?
Des chercheurs établissent un lien entre inclusion et exclusion[5], l’exclusion générant un taux élevé d’abandon et de redoublement, ainsi qu’une mauvaise performance des élèves et de faibles résultats d’apprentissage. L’inclusion cherche à : (a) remettre en cause les présupposés bien enracinés sur les incapacités des personnes handicapées, lesquelles seraient intrinsèques à leur handicap et à leurs familles ; (b) combattre les obstacles à la participation des personnes dites différentes.
L’inclusion[6] et la participation de tous dans toutes les sphères de la société requièrent de respecter les droits particuliers qui reconnaissent les différences entre les citoyens, afin que ces derniers ne soient pas exclus[7].
Adopter une approche inclusive consiste à définir et appliquer des politiques offrant les mêmes possibilités à tous les apprenants de recevoir une éducation de haute qualité et adaptée[8], laquelle leur permet d’exploiter pleinement leurs potentialités, indépendamment de leur sexe ou de leur environnement social, économique, physique, intellectuel et de leurs caractéristiques personnelles. À l’échelle internationale, l’expression école inclusive fait généralement référence aux stratégies visant à scolariser sur un pied d’égalité avec les autres élèves les apprenants ayant des besoins spécifiques au sein des écoles dites ordinaires.
L’éducation inclusive est un processus impliquant la transformation des écoles et autres centres de formation, afin que ces structures soient responsables de tous les enfants sans logique de sélection par un critère discriminant. Son but premier est d’éliminer l’exclusion, à savoir l’une des conséquences d’une attitude négative face à la diversité humaine (race, classe sociale, appartenance ethnique, langue, religion, genre, handicap, …), ainsi que l’absence de réponse concrète à cette diversité humaine.
Face à un système éducatif conçu pour l’exclusion, les démarches inclusives représentent une chance pour une Nation, car celles-ci permettent de démontrer qu’il n’est pas possible de résoudre l’exclusion avec des stratégies partielles ou des mesures sans cohérence entre elles[9]. Cette approche s’appuie sur les potentialités (les capacités) de la personne, si petites soient-elles, et non sur ses limitations (les incapacités). L’inclusion implique de n’exclure personne au départ. Les écoles inclusives (ex. Canada, Finlande, Norvège, Italie) n’essaient pas d’aider les élèves en difficulté en particulier ; elles tentent plutôt de tenir compte des besoins de tous les élèves et d’adapter l’enseignement en conséquence.
Concrètement, comment une telle disruption se matérialise-t-elle au sein d’une classe ?
Dans le champ de l’éducation, des pays (ex. États-Unis, Canada, Norvège) ont développé la conception universelle de l’apprentissage[10]. Cette démarche très innovante[11] part du principe que le cerveau humain fonctionne sensiblement de la même manière d’un élève à un autre, mais que chacun apprend différemment, ce qui implique le recours à des pratiques pédagogiques distinctes.
Pour autant, cela ne signifie aucunement que l’enseignement doive s’individualiser. Tenant compte de ce postulat, le professeur cherche à varier et à différencier ses stratégies pédagogiques, afin de répondre aux besoins de tous les types d’apprenants. Le professeur s’assure que tous les élèves bénéficient de chances égales pour démontrer l’atteinte de l’objectif du cours.
Cette
conception de l’enseignement et de l’apprentissage valorise l’équité,
l’inclusion, l’égalité et la réussite pour tous[12].
Dans le respect des objectifs de formation, celle-ci requiert de recourir à des
approches collectives flexibles et d’adopter des stratégies inclusives prenant
en considération tous les élèves.
[1] RIESER, R. (2012). Implementing Inclusive Education. A Commonwealth Guide to Implementing Article 24 of the UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities, Commonwealth Secretariat, London.
[2] Centre for Studies on Inclusive Education:
Lien : http://www.csie.org.uk/ (dernière consultation le 27 octobre 2019)
World of Inclusion:
Lien : http://worldofinclusion.com/ (dernière consultation le 27 octobre 2019)
Resources on Inclusion in Education (UNESCO) :
Lien : https://en.unesco.org/themes/inclusion-in-education/resources (dernière consultation le 27 octobre 2019)
Inclusive Education in Action:
Lien : https://www.inclusive-education-in-action.org/ (dernière consultation le 27 octobre 2019)
[3] BOOTH, T. & AINSCOW, M. (1998). From Them to Us: An International Study of Inclusion in Education, Londres: Routledge.
[4] BICKMORE, K. (1993). Learning Inclusion/Inclusion in Learning: Citizenship Education for a Pluralistic Society, Theory and Research in Social Education, Vol. 21, n° 4, pp. 341-384. Lire aussi FISHER, A.-C. (2007). Creating a Discourse of Difference, Education, Citizenship and Social Justice, Vol. 2, n° 2, pp. 159-192.
[5] ECHEITA, G. & SANDOVAL, M. (2002). Educaciôn inclusiva o educaciôn sin exclusiones, Revista de Educaciôn, n° 327, pp. 31-48. Voir également ECHEITA, G. (2006). Educaciôn para la inclusiôn. Educaciôn sin exclusiones, Madrid, Morata. Consulter aussi GOODMAN-DEANE, J., WALLER, S. D., WILLIAMS, E. Y., LANGDON, P. M. & CLARKSON, P. J. (2011). Estimating Exclusion: A Tool to Help Designers. Lire aussi AGUERRONDO, I. (2007). Inclusion-Exclusion: International Workshop on Inclusive Education (Latin-America, Southern and Andean Region), Buenos Aires, Argentine, 12-14 septembre 2007. Enfin, lire OLIVER, M. & BARNES, C. (1998). Social Policy and Disabled People: From Exclusion to Inclusion, London: Longman.
[6] BOOTH, T. & AINSCOW, M. (2002). The Index for Inclusion, 2ème éd., Bristol: Centre for Studies on Inclusive Education.
[7] AINSCOW, M. et al. (2006). Improving Schools, Developing Inclusion, Londres: Routledge. AINSCOW, M. (2007). Taking an Inclusive Turn, Journal of Research in Special Educational Needs, Vol. 7, n° 1.
[8] BLANCO, R. (2007). Eficacia escolar desde el enfoque de calidad de la educaciôn, présenté au premier Congrès ibéro-américain sur l’efficacité scolaire et les facteurs associés, OREALC/UNESCO, Santiago, Chili, décembre 2007.
[9] AINSCOW, M. (1999). Understanding the Development of Inclusive Schools, Londres: Falmer. AINSCOW, M. et al. (2003). Making Sense of the Development of Inclusive Practices, European Journal of Special Needs Education, Vol. 18, n° 2, pp. 227-242. AINSCOW, M., BOOTH, T. & DYSON, A. (2004). Understanding and Developing Inclusive Practices in Schools: A Collaborative Action Research Network, International Journal of Inclusive Education, Vol. 8, n° 2, pp. 125-140. AINSCOW, M. (2005). Developing Inclusive Education Systems: What are the Levers for Change? Journal of Educational Change, Vol. 6, n° 2, pp. 109-124. AINSCOW, M. & KAPLAN, I. (2006). Using Evidence to Encourage Inclusive School Development: Possibilities and Challenges, Australasian Journal of Special Education, Vol. 29, n° 2, pp. 106-116.
[10] BURGSTAHLER, S. (2012). Universal Design for Instruction (UDI): Definition, Principles, Guidelines, and Examples.
Lien : http://www.washington.edu/doit/Brochures/Academics/instruction.html (dernière consultation le 27 octobre 2019)
Voir également GLASS, D., BLAIR, K. & GANLEY, P. (2012). Universal Design for Learning and the Arts Option. Dans HALL, T. E., MEYER, A. & ROSE, D. H. (dir.), Universal Design for Learning in the Classroom: Practical Applications, New York, USA: The Guilford Press, pp. 106-119. Consulter aussi ROBINSON, K. H. & MEYER, A. (2012). Doing History the Universal Design for Learning Way. Dans HALL, T. E., MEYER, A. & ROSE, D. H. (dir.), Universal Design for Learning in the Classroom: Practical Applications, New York, USA: The Guilford Press, pp. 90-105. Consulter enfin TREMBLAY, S. (2014). La conception universelle de l’apprentissage : fondements et applications. 34ème colloque de l’AQPC, 3 juin 2014, atelier no. 204.
[11] ROSE, D. H. & MEYER, A. (2002). Teaching Every Student in the Digital Age: Universal Design for Learning, Alexandria, Association for Supervision & Curriculum Development. Consulter aussi TREMBLAY, S., RAYMOND, O. et HENDERSON, T. (2013). La conception universelle de l’apprentissage en enseignement supérieur, présentation faite lors d’une rencontre des répondants locaux Performa en 2013. Lien: http://www.usherbrooke.ca/performa/fileadmin/sites/performa/documents/40e/Atelier_pedagogie.pdf (dernière consultation le 27 octobre 2019). Voir enfin BURGSTAHLER, S. E. & CORY, R. C. (2015). Universal Design in Higher Education: From Principles to Practice, Cambridge, Harvard Educational Press.
[12] BLANCO, R. (2006). La equidad y la inclusiôn social, Red Electrônica Iberoamericana sobre Equidad, Calidad y Cambio en la Educaciôn, Vol. 4, n° 3, pp. 1-15. Lire aussi HEUNG, V. & GROSSMAN, D. (2007). ” Inclusive Education as a Strategy for Achieving Education for All “. Dans : BAKER, D. & WISEMAN, A. (dir.). Education for All: Global Promises, National Challenges, Oxford: Elsevier, pp. 155-180.