Aujourd’hui, petite discussion (entre moi et moi :D) sur un thème récurrent dans les discours des surdoués (mais qui touche jusqu’à 70% de la population) : le syndrome de l’imposteur.
Syndrome de l’imposteur.
Syndrome de l’autodidacte.
Phénomène de l’imposteur.
Expérience de l’imposture.
Le concept est issu de la psychologie clinique dans les années 1970 (Pauline Clance et Suzanne Imes). Malgré le nom de syndrome, il ne s’agit ni d’une maladie, ni d’un trouble reconnu par le DSM-5, le guide américain des maladies mentales.
Késako ?
Le syndrome de l’imposteur est une forme de doute de soi, une croyance que son accomplissement social et personnel est indû, dû à la chance ou la méprise et non au travail ou au mérite personnel. Plus ou moins marqué, le syndrome, selon Imes et Clance, peut provoquer un mal-être profond et continu, et peut être à l’origine de comportements d’évitement, notamment :
- Un surinvestissement dans le travail, pour compenser le manque de valeur que la personne croit voir chez elle. Ce surinvestissement se solde généralement par des réussites, que la personne trouve non méritée ou disproportionnée, ce qui renforce le cercle.
- Une tendance à se cacher derrière un masque lisse et affable, et à adopter les positions des autres, afin de se convaincre que personne ne peut les détester.
- Une tendance à chercher l’approbation pour se rassurer, en usant de son charme et de compétences sociales. Cela conduit généralement au sentiment que sa réussite est due à des avantages sociaux et non au mérite intellectuel lié au domaine de compétence.
- Une modestie exagérée, permettant de limiter les attentes des autres et de pouvoir être à la hauteur.
Ces quatre comportements se renforcent eux-mêmes, et l’écart entre la valeur que la personne perçoit chez elle, et celle qu’elle pense que les autres lui attribue peut augmenter et causer beaucoup de souffrances. Plus on est récompensé et vu comme plein de succès, plus on a à perdre, parce qu’on sait bien, nous, qu’on n’est pas et qu’on ne sera pas à la hauteur !
Le syndrome toucherait environ 70% de la population, au moins une fois, et pourrait être lié aux facteurs suivants :
- Les stéréotypes de genre (on a montré, par exemple, que les petites filles attribuaient généralement leurs réussites à la chance, et les petits garçons au talent) ;
- La dynamique familiale précoce ;
- La culture ;
- Le style d’attribution.
HPI et syndrome de l’imposteur, combo gagnant ?
On l’a vu, tout le monde peut être concerné, et les filles auraient une prédisposition à cette forme de mésestime de soi. A priori, rien à voir avec le HPI. Alors où est-ce qu’il peut y avoir croisement ?
La théorie de l’esprit
Pour imaginer l’autre, on commence par s’imaginer qu’il pense comme nous. Puis on commence à comprendre (autout de quatre ou cinq ans), que les autres peuvent penser différemment et avoir des informations différentes (c’est ça la théorie de l’esprit). Or, le HPI se sent souvent différent, de façon floue, depuis son enfance. Et il ne sait pas comment se placer.
Certains, beaucoup, se sentent limités, stupides, ou inadaptés. En lisant les livres sur le surdouement, il y a de nombreuses occurrences de personnes qui, en recevant la nouvelle de leur haut QI, répondent, « c’est impossible, je ne suis pas intelligent ».
Pour moi, les deux peuvent être liés. Il est incroyablement difficile de se mettre à la place des « gens normaux ». Moi, je ne suis toujours pas sûre qu’ils existent ! Alors, comment peut-on se juger ? Par rapport à eux, à l’image qu’on a d’eux, aux retours qu’ils nous donnent ? Ou, comme on se sent en décalage, par rapport à l’image qu’on a de l’idéal, du « potentiel » humain ?
Les HPI sont pleins de contradictions, entre mauvaise estime de soi et impression de surpuissance. Avant ou après le diagnostic, beaucoup ont une sorte d’idéal de l’humain parfait, un idéal à la hauteur duquel on ne peut jamais être.
Décalage, doute, idéalisme, quête de sens
Pour ceux qui réussissent, qui s’adaptent bien au jeu social, il y a souvent un sentiment de décalage qui persiste, on voudrait que les choses, les décisions soient évidentes, et on n’arrive à produire qu’un résultat fini, circonstancié, local. Et quand les autres récompensent ce résultat qu’on avait imaginé meilleur, comment l’accepter ?
C’est que, selon la lecture de Tinoco, Gianola et Blasco (Les surdoués et les autres, penser l’écart), la vraie différence, c’est que le surdoué n’accepte pas, ou plus difficilement, le sens qui vient de l’extérieur, du social. Il doit construire, et ressentir, faire sa propre expérience de ce qui a du sens. Et du coup, le retour positif des autres n’a pas nécessairement force de preuve. Car une des caractéristiques fondamentales des surdoués, c’est le doute. À propos de soi, à propos des autres, à propos de ce que les autres disent de soi. Être surdoué, c’est devoir créer sa réalité et sa vision du monde, en se basant sur les seules matières disponibles : les inputs du monde extérieur, les sensations, les raisonnements.
Réussir trop facilement
Celui qui se sent imposteur, ça peut être celui qui a eu mille fois sur son bulletin « Bons résultats, mais peut mieux faire », « Du potentiel », « Faites-en plus ». Qui pense qu’il ne mérite même pas les résultats qu’il obtient, mais se juge à l’aune de ceux qu’on lui dit qu’il pourrait obtenir.
Cela peut être celui qui a d’excellents résultats scolaires, qui reçoit des « excellent travail » en retour, et qui pense qu’il n’en fait pas assez. Que, s’il travaillait autant que certains de ses camarades, il pourrait atteindre une sorte de stade supérieur de l’intelligence et des résultats, voire de la vérité ou la réalité.
Cela peut être celui qui s’est toujours vu comme l’école le faisait paraître, décalée, inadapté et en échec, et qui pourtant, en trouvant un domaine qui l’intéresse, une façon de travailler, en grandissant, en rencontrant des gens, finit par réussir, au moins dans certains domaines.
Ces trois catégories sont assez fréquentes chez les surdoués, ce qui n’est pour moi pas anodin.
Et maintenant, on fait quoi ?
Mille histoires, milles sentiments. L’école, l’enfance, l’éducation a mille façons d’influencer, d’informer, d’imprimer sa marque sur les êtres. Surdoués ou non.
Bien sûr, bien des surdoués ont des failles, nées du sentiment de décalage, entre soi et les autres, entre ses résultats et son potentiel perçu, entre les retours grandiloquents et la perception de facilité à accomplir une tâche. Et du coup, comment ça se soigne ?
- Travailler son auto-bienveillance (facile, hein, je parie que vous n’y aviez pas pensé). Pour Kévin Chassangre, Docteur en psychologie, il faut s’entourer et si besoin recourir à la thérapie, individuellement (par exemple pour identifier l’origine des problèmes et travailler sur les symptômes) ou en groupe (afin de se rapprocher de l’autre et de réduire le sentiment de décalage et de solitude).
- Apprivoiser ses peurs et son anxiété (là encore, trop facile). Cela peut passer par de la méditation, du sport, du travail sur soi de façon générale, de l’hypnothérapie. Donner le temps au temps aide, aussi.
- Travailler sur son estime de soi. Dans la même veine, cela demande du temps, de la thérapie, du sport, de la méditation…
Sources
- Mooc « Le développement psychologique de l’enfant », Université de Genève
- Pauline Rose Clance, Le Complexe d’imposture. Ou Comment surmonter la peur qui mine votre sécurité
- Philippe Di Folco, Petit traité de l’imposture, coll. Philosopher
- Kevin Chassangre, Stacey Callahan, Le Syndrome de l’Imposteur: Traiter la dépréciation de soi