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Les Enjeux de la Conception Universelle en Entreprise – Partie 1

Entretiens avec Stéphane FORGERON sur les enjeux de la conception universelle pour les entreprises.

Stéphane FORGERON travaille dans le secteur bancaire en tant qu’auditeur interne. Il s’est spécialisé dans cette démarche innovante de la conception universelle au service de la stratégie marketing des organisations. Diplômé d’HEC Paris, il s’efforce de promouvoir, avec un ami économiste, cette approche marketing pour concevoir la banque du futur. 

Cette démarche de conception de produits et de services, très répandue au Japon, en Amérique du Nord et dans quelques pays européens (ex. Allemagne, Norvège, Suisse) représente pour les entreprises qui l’appliquent un avantage concurrentiel. Néanmoins, pour Stéphane bien d’autres avantages sont à mettre en avant, qu’il vous exposera au fil des échanges que nous aurons avec ce dernier.



Stéphane, comment est née cette démarche ?



Le concept de conception universelle (1) a été inventé en 1985 par l’architecte américain Ronald L. MACE (1941-1998), également product designer (2), qui se déplaçait en fauteuil roulant.

Ce concept (3) a rapidement dépassé le seul domaine de la construction d’environnements. Ron MACE disait que l’un des plus grands changements apporté par la conception universelle repose dans la suppression du label « handicapés ».

En juin 1998, il a organisé une conférence internationale (4) pour présenter les principes de cette démarche : un tiers des participants venait du Japon.

Dans vos interventions, vous parlez beaucoup du Japon : pouvez-vous nous en dire plus sur leur approche ?

La conception universelle est à 80% présente au sein des entreprises japonaises (5) : les grandes entreprises nippones ont toutes créé une direction Conception Universelle, laquelle travaille en étroite collaboration avec les équipes R&D, Marketing et Communication. Beaucoup de produits japonais vendus en France intègrent les principes de la conception universelle (ex. Nissan, Toyota).

Les Japonais sont devenus des experts en la matière. L’expression conception universelle est d’ailleurs connue par plus de 70% des Japonais, grâce au succès d’une campagne publicitaire. Au Japon, la conception universelle est présentée sous forme de bandes dessinées aux enfants afin qu’ils comprennent très tôt les raisons de concevoir des produits, des services et des environnements pour Tous.

La conception universelle est en train de devenir un standard au pays du soleil levant, refusant toute approche spécifique basée sur une segmentation marketing trop fine de la population. La philosophie de cette approche de création d’environnements, de produits et de services pousse toutes les équipes à penser différemment et simplement.

Les analyses culturelles soulignent que la conception universelle au Japon se focalise sur l’âge et non le handicap. En effet, des considérations intergénérationnelles – une population vieillissante – ont été mises en avant pour passer de la théorie à la pratique. Ceci étant, des opportunités en matière d’augmentation des ventes ont constitué un levier très puissant pour que les entreprises (ex. banques) s’inscrivent dans cette démarche.

Valerie FLETCHER (6), une des plus grandes spécialistes américaine en conception universelle, a organisé la première conférence au Japon sur ce thème au début des années 2000, et les Japonais, émerveillés par une telle approche économique et sociétale, se sont dits : « Notre population est vieillissante, c’est ce qu’il nous faut ». Aussi, le mouvement est venu des chefs d’entreprise qui ont favorisé la conception universelle dans le secteur du logement, pour l’appliquer ensuite à tous les biens et services.



Pouvez-vous nous donner un exemple dans la vie courante du recours à la conception universelle ?



Apple travaille selon les principes de la conception universelle (iPhone, iPad) sans que les consommateurs français en aient conscience. Idem pour les directions marketing des grandes groupes.

Permettez-moi de vous raconter une anecdote. En mai 2007, un groupe d’étudiants de la Major Management & Nouvelles Technologies d’HEC Paris achève sa formation au Japon. Ce voyage de fin d’études est l’occasion pour ces élèves de visiter des entreprises nippones et de rencontrer sur place des acteurs économiques du numérique. A Tokyo ils échangent avec deux représentants de la veille marketing de Bouygues Telecom. Au sein de cette promotion figure un étudiant malvoyant qui va poser une question sans intérêt pour le reste de ses camarades : « Pourquoi ne proposez-vous pas des téléphones portables avec de grands écrans et accessibles pour plus de consommateurs comme au Japon ? »

La réponse ne tarde pas à venir : « Des téléphones portables avec un grand écran, cela ne fonctionnera jamais en France : nous avons fait des études de marché et le marché japonais est très différent du nôtre. En revanche, nous avons quelques produits spécifiques pour sourds et aveugles à notre catalogue. »

Six semaines plus tard, à savoir le 29 juin 2007, Steve JOBS sort le premier iPhone avec un grand écran au regard des produits commercialisés à cette époque. Apple va réaliser un coup de maître : intégrer sur tous ses smart phones des options d’accessibilité en natif pour tous les handicaps, sans surcoût pour ces consommateurs.



En guise de conclusion de ce premier entretien, quel message souhaiteriez-vous faire passer à des directeurs de grands groupes ?



Avec près de 20 ans de recul sur cette pratique au sein d’organisations convaincues de cette démarche, la conception universelle représente un défi majeur à la créativité et pour que les entreprises gardent leurs meilleurs talents. Pour ce faire, il convient de faire travailler ensemble des professions venant de différents horizons (ex. architectes, urbanistes, designers, philosophes, marketeurs, etc.) sur un pied d’égalité, et d’enraciner ce concept dans leurs projets.
La tendance est, en effet, à spécialiser les produits et les services en fonction d’une cible de clients : pour les seniors, pour les enfants, pour les personnes handicapées – et bien souvent pour un type de handicap –, etc. Une telle approche marketing constitue pour nombre d’entreprises internationales un obstacle pour capter de nouveaux clients.

Aussi, l’adoption de la conception universelle casse les approches marketing traditionnelles pour répondre à cet enjeu business.

Désormais, la conception universelle fait partie de la stratégie d’un nombre croissant d’entreprises (ex. OXO, Bank of America). Pour les Américains et les Japonais, l’adoption d’une telle approche représente le marketing du futur, alors que cette méthodologie n’est pas enseignée en France dans les grandes écoles de management et d’ingénieurs. Peu de personnes s’y intéressent dans notre pays, notamment dans le secteur des grands cabinets de conseil en stratégie, ces acteurs ne maîtrisant pas cette question faute de pratique et de connaissance de l’expérience utilisateur. Il faut certainement chercher la raison dans leur mode de recrutement élitiste, éliminant toute personne dite atypique.

1 – En anglais on parle de Universal Design, Design For All, Inclusive Design, Participatory Design, Human Centered Design.
2 – R. L. Mace (1985). Universal Design, Barrier Free Environments For Everyone, Designers West 33(1985), 147-152.
3 – En français on trouve parfois les appellations suivantes : accessibilité universelle, conception pour tous, design universel.
4 – Conférence internationale Designing for the 21st Century: An International Conference on Universal Design, à l’Université d’Hofstra.
5 – Voir les contributions de Keiji KAWAHARA, Concepteur Industriel, Directeur Exécutif de l’International Association for Universal Design et professeur à l’Université de Nagoya.
6 – Valerie Fletcher est directrice exécutive de l’Institute for Human Centered Design (Caroline du Nord). Valerie intervient comme consultante pour l’Administration de Singapour et est fondatrice de l’Association pour la Conception Universelle à Tokyo.

Stéphane FORGERON travaille dans le secteur bancaire en tant qu’auditeur interne. Auparavant, Stéphane a effectué différentes missions dans les relations internationales, le marketing et les achats. Il parle couramment l’espagnol, l’anglais, le français et le portugais du Brésil et a vécu en Espagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, au Mexique et au Brésil. Stéphane est très impliqué dans le monde associatif, est passionné par la finance et la géo-économie. La pratique du sport constitue sa première religion, notamment la plongée sous-marine à haut niveau et des treks en haute montagne. Sa devise : « transformer un handicap en force ».

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