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Conception universelle et politiques publiques efficientes – ex. Covid-19 Partie 2

Début de l’article – Partie 1

Stéphane Forgeron, selon vous il ne suffit pas de rédiger un plan pandémie pour être prêt en cas de crise sanitaire. Il convient également de le tester et d’associer la population pour une mise en œuvre effective. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?  

La “stratégie” de lutte contre la pandémie n’a pas fonctionné en France, celle-ci ayant constamment changé à compter de février 2020. Aussi, il a été plus facile de “taper” sur les Français en prétextant qu’ils n’ont pas respecté les consignes. Pourtant, la France disposait d’un plan national pandémie[i] sur la période 2011-2014, lequel n’a pas été activé en mars 2020, car peu de Français avaient connaissance de son existence à l’exception des professionnels de santé. Or, tout plan de gestion des crises doit être régulièrement mis à jour (en moyenne tous les 3 ans) et testé.

Pour autant, ce plan caduc laissait apparaître des “trous dans la raquette” propres à la France – on fait pour les citoyens et non avec les citoyens – bien que présenté à la fois comme un document de référence pour la préparation et un guide d’aide à la décision en situation pandémique, ce qui mérite de procéder à une analyse de nature à en tirer des enseignements dans d’autres contextes afin d’éviter de refaire les mêmes erreurs à l’avenir. En effet, si cette pandémie était apparue en 2013 ce plan aurait été de peu d’utilité pour les raisons suivantes :

1 – Ce plan s’adresse à tous les Français, qui doivent “connaître le risque pour le prévenir et en éviter la diffusion, et être acteur de la solidarité de voisinage indispensable pour en atténuer les conséquences“, sans avoir cherché à impliquer les citoyens ni même à les sensibiliser sur l’existence d’un tel plan.

2 – Les services des conseils généraux et municipaux sont censés être préparés pour soutenir les personnes fragiles en période de pandémie, sans les avoir identifiées au préalable.

3 – La “réalisation d’exercices par le ministère de l’Intérieur, de la Santé, de tous les acteurs publics” et privés est requise par l’organisation annuellement d’au moins un exercice de mise en œuvre des mesures du plan.

4 – La “préparation du recours aux bénévoles en cas de pandémie” est également requise, à condition que ces derniers soient formés pour savoir quoi faire.

5 – La “sensibilisation et concertation avec les acteurs de tous niveaux pour préparer la réponse à une pandémie” n’a jamais été initiée depuis la publication de ce dernier plan en 2011.

6 – La “préparation des modalités de prise en charge de catégories particulières de la population (enfants, femmes enceintes, handicapés, personnes âgées, populations précarisées, …)” n’a pas été mise en place. Pour ces populations aucune approche basée sur l’anticipation de potentiels risques n’a été établie.

7 – La “préparation de stocks de masques (Santé, tous ministères, entreprises)” n’a pas été prise au sérieux (non renouvellement des stocks) à compter de 2018 pour des raisons d’économies budgétaires.

8 – Le scénario d’un confinement n’a pas été envisagé dans ce plan contrairement à celui de San Francisco.

9 – “L’évolution de la stratégie sanitaire doit être anticipée pour organiser la mise en œuvre des mesures et limiter l’impact de la pandémie“, sans plan depuis 2014.

10 – Des “mesures de protection de populations spécifiques (personnes âgées, personnes handicapées, enfants, personnes sans domicile fixe…) en situation pandémique” ont été prévues mais n’ont jamais été testées. D’ailleurs, pendant la pandémie, ces populations ont été en grande partie oubliées, pour ne pas dire invisibilisées par les pouvoirs publics.

11 – Les rôles et responsabilités n’ont pas été attribués en termes de pilotage et de coordination d’un tel plan (qui fait quoi ?).

12 – Chaque étape d’un plan doit être réaliste : au stade “de freinage” d’une pandémie, il est préconisé dans le plan français de “retarder l’introduction de la maladie sur le territoire, pour mieux préparer un vaccin pandémique afin qu’il soit disponible, si possible, avant une vague majeure“. Aussi, que se passe-t-il si un virus contamine en quelques semaines une zone géographique alors que les laboratoires de recherche nécessitent beaucoup plus de temps[ii] pour trouver un vaccin ?

Point-clé d’un plan pandémie totalement négligé pendant cette crise sanitaire :

“L’efficacité du dispositif prévu dans le plan repose sur le maintien d’un lien de confiance fort entre les autorités gouvernementales et la population. Il faut à la fois être à l’écoute des préoccupations de la population et y répondre rapidement.”

[i] Plan national de prévention et de lutte “Pandémie grippale”. Document d’aide à la préparation et à la décision – n°850/SGDSN/PSE/PSN Octobre 2011 :

https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_Pandemie_Grippale_2011.pdf (dernière consultation le 25 novembre 2023)

[ii] TOURNIER, J.-N. et TANGY, F. (2021). L’Homme façonné par les virus. Le COVID-19 et la découverte d’un vaccin français, Ed. Odile Jacob

Au final, pour la première fois dans l’Histoire de la France et d’autres pays, des citoyens en bonne santé ont été isolés, en confinant toute la population[1] plutôt qu’en cherchant à protéger les personnes à risque. Le paradoxe de l’égalitarisme à la française consiste à traiter de la même manière des personnes qui sont dans des situations différentes. Or, par définition, les gens ne vivent pas dans des situations identiques, notamment en matière de santé où nous sommes très inégaux, parfois dès la naissance, d’où l’intérêt de promouvoir des stratégies différenciées prenant en compte la diversité de la population (genre, âge, état de santé, capacités, etc.) dans tous les domaines pour trouver des solutions répondant dans la mesure du possible aux besoins de tous les habitants d’un territoire.

Les gouvernements de pays tels que Taïwan, la Nouvelle-Zélande, l’Islande, la Finlande et la Norvège n’ont jamais confiné leur pays en entier (aucun confinement sur le mode de la France) ; à l’inverse, ils ont décidé de tester en masse leur population, ont isolé les patients infectés et ont énormément communiqué en jouant la carte de la transparence et de la pédagogie sans instaurer de climat anxiogène. Enfin, ces dits gouvernements ont fait appel à la responsabilité de chaque citoyen. Petite anecdote à considérer : tous ces pays étaient dirigés par des femmes à cette période.

La pandémie de COVID-19 aurait dû servir en France de prise de conscience par la classe politique qu’il est indispensable de prendre en compte la diversité de la population lorsque des décisions les concernant sont prises, lesquelles doivent se retrouver déclinées sous forme de politiques publiques inclusives pour que ce concept ait un sens. Or, cette crise sanitaire n’a rien changé : les vieux réflexes de solutions technocratiques ont vite repris le dessus. Les personnes handicapées françaises vivant à domicile ont été invisibilisées, et le handicap n’est plus une priorité gouvernementale depuis des lustres.

Aussi, sans politiques publiques inclusives le modèle et mouvement pour la vie autonome ne peut pas exister, et en cas de crise les personnes vulnérables seront les principales victimes. Ce modèle cherche à restaurer la dignité des personnes handicapées, à favoriser leur visibilité dans la société. Ce changement de paradigme initié dans les années 1960 aux États-Unis a permis à la personne handicapée de sortir du piège du tout institutionnel démontrant que la vie, que la personne ait un handicap ou non, comporte une part de risque[2] qu’il convient d’accepter pour promouvoir l’autodétermination, la désinstitutionalisation[3] et la dignité de tous les citoyens, quelles que soient leurs aptitudes.

En fait, les Français dans leur immense majorité connaissent très mal les aspirations, besoins et potentiel des personnes handicapées, et encore moins l’handicap en tant que champ d’étude[4] tel qu’enseigné dans les universités anglo-saxonnes (ou Disability Studies[5]), ce qui explique le retard abyssal pris par la France dans ce domaine et la volonté politique de ne rien changer. Sans cette connaissance scientifique, il est difficile de faire bouger les lignes, d’autant plus que des intérêts économiques sont en jeu pour maintenir en l’état le modèle français des établissements pour personnes handicapées tout au long de leur vie.

Stéphane, nous vous remercions pour ces articles, et nous attendons avec impatience dans les prochaines semaines de nouvelles contributions de votre part sur la conception universelle.

[1] GREEN, T. et FAZI, T. (2023). The Covid Consensus: The Global Assault on Democracy and the Poor—A Critique from the Left, C Hurst & Co Publishers Ltd; 2nd ed.

[2] ANDRIEN, L. et SARRAZIN, C. (2022). Handicap, pour une révolution participative: la nécessaire transformation du secteur médico-social, Ed. ERES.

[3] Mansell, J. et Ericsson, K. (1996). Deinstitutionalization and Community Living. Intellectual disability services in Britain, Scandinavia and the USA, Springer-Science+Business Media, B.V.

[4] ALBRECHT, G. L. (2006). Encyclopedia of Disability, five Volumes, Sage Publications Thousand Oaks.

[5] SHAKESPEARE, T. (2015). Disability Research Today. International perspectives, Routledge, Taylor é Francis Group, London and New York.

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